La vie professionnelle, vecteur d'Evangélisation
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En guise de préambule…
Un tel thème sur le travail peut sembler incongru dans un monde qui comprend autant de chômeurs. Mais en même temps, dans ce temps de reprise, je suis frappée d'entendre dire à temps et à contre temps, combien le travail est difficile, moins tant en lui-même que par les conditions où il se pratique…Combien j'entends dire aussi que ce travail n'a aucun sens, que l'on ne s'y "retrouve pas " que l'on ne peut s'y épanouir, etc…, et ce, surtout peut-être par les plus jeunes professionnels, chrétiens ou non…mais chrétiens aussi ! Peut-être trouveront-ils dans ces quelques lignes de quoi réfléchir et qui sait, prendre goût à cette vie de travail…et lui trouver sens…Aussi me semble t-il important pour le Royaume de Dieu que nous réfléchissions ensemble à la portée apostolique et missionnaire de notre vie professionnelle. Cette vie professionnelle qui est notre quotidien, peut-elle être un lieu où " donner vie à l'évangile " ?
Il est évident que les lignes qui vont suivre sont une sorte de témoignage, très lié à ma propre expérience dans l'industrie ( religieuse, après avoir passé 20 ans dans l'enseignement catholique, j'ai choisi d'aller travailler dans l'industrie, comme cadre moyen…). En conséquence, il est plutôt limité à ce type de milieu. J'espère toutefois que ceux qui vivent dans un autre contexte pourront faire la transposition, et que cela les amènera à s'interroger sur leur propre manière de vivre dans leur milieu professionnel.
1 Convictions
Quatre convictions, très fortes, me semblent à exprimer avant d'aborder le vif du sujet :
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"Rien dans ma vie de travail, dans ma vie dans l'entreprise ou de bureau, n'est étranger à Dieu" . Qu'est-ce que cela peut vouloir dire, qu'est-ce que cela induit dans ma façon d'être ?
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Nous vivons dans un monde profondément déchristianisé. Or, où rencontrer les non croyants ou les mal croyants si ce n'est là où ils vivent eux-mêmes ? Où les non-croyants ou mal croyants pourront-ils rencontrer des gens qui vivent de leur foi en Jésus-Christ, si ce n'est au travail ? La vie professionnelle est un de ces lieux privilégiés de rencontres.
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Tout homme - moi, et aussi tous ceux que je rencontre - est aimé de Dieu, et est image de Lui, il est donc révélateur de Dieu pour moi, comme je peux l'être pour lui.
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Le monde du travail est un monde ambigu. Ce monde est l'envers d'un monde de "purs", ce qui veut dire qu'y vivre, c'est forcément se "salir les mains " ( " Ils ont les mains propres, parce qu'il n'ont pas de mains."). Evidemment, cette ambiguïté existe à des niveaux divers et n'est pas la même dans le monde de la santé que dans les circuits commerciaux, mais elle est réelle partout.
2. La vie professionnelle, lieu d' évangélisation personnelle
Où se situe cette évangélisation, cette " conversion " ?
Par le mot "conversion", ne pas entendre une attitude volontariste ( ce n'est pas nous qui nous convertissons, mais Dieu qui nous change), mais plutôt une attitude "mystique ", sans avoir peur de ce mot.
Les logiques économiques rendent notre environnement complexe et incertain, mais osons dire qu'elles ne sont pas déshumanisantes en soi. Les limites que nous avons à vaincre sont en chacun de nous, avant d'être dans les lois de l'économie ou de l'entreprise.
La vie professionnelle est un lieu de conversion personnelle à travers ma manière personnelle de travailler, d'agir, de prendre des décisions :
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à travers les relations que j'y vis, la qualité de ces relations, mais aussi l'interpellation que j'y entends à travers des modes de vie, des critères, des repères différents des miens. L'entreprise est un lieu où s'affrontent des différences, un monde où l'on constate tous les jours que la générosité, l'honnêteté ne sont pas l'apanage des chrétiens. Ces différences sont-elles pour moi, appels à l'ouverture, à la tolérance, à l'enrichissement mutuel ?
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La vie professionnelle est lieu de conflits. Dans ces conflits, suis-je source de paix, de vérité, de justice ?
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La vie professionnelle a aussi à devenir lieu de liberté. Cela peut sembler paradoxal, quand on sait l'état de stress dans lesquels on y vit, quand on sait combien on y est surpressé (comme des citrons entend-t-on souvent dire ), quand on sait le faible degré de liberté qui nous reste. Pourtant, il faut maintenir que nous sommes appelés à vivre, là comme ailleurs, dans la liberté des enfants de Dieu. Cela veut dire que, même soumis à de fortes tensions, il est possible de choisir d'adhérer ou pas, de savoir que je fais ainsi parce que je le veux ou malgré que je ne le veuille pas. Il s'agit là d'une liberté intérieure qui peut exister même dans les contraintes.
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La question peut aussi se poser de l'espace de liberté que j'offre à l'autre. Ma relation à l'autre est-elle écrasante ou libérante ?
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La vie professionnelle est, pour beaucoup, lieu de responsabilités. Quel est ma manière d'être avec ceux dont j'ai la responsabilité ? Quelle est ma manière de les voir ? Ma parole est-elle constructive ? Aide-t-elle l'autre à avancer, à réfléchir, à prendre sa propre parole aussi ? Nous savons combien l'équilibre n'est pas toujours facile à trouver entre autorité et autoritarisme. Il s'agit là de prendre les décisions justes dans le respect des personnes.
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La vie professionnelle est pour beaucoup (suivant les lieux et les âges ), lieu de pouvoir. Ce pouvoir doit toujours être pour nous lieu d'interrogation. Attention, il ne s'agit pas de se récuser sachant qu'il est plus facile de vivre "caché", il ne s'agit pas non plus d'oublier la parabole des talents. Il s'agit seulement de s'interroger sur " à qui profite ce pouvoir ", comment faire pour qu'il soit prioritairement service ?
Conditions pour que cette vie soit lieu de conversion :
La conversion est d'abord à demander dans la prière, qui est prière de demande.
La conversion n'est jamais un préalable, elle est suite du Christ. D'où l'importance de la relation personnelle avec Jésus-Christ, compagnon de route de notre quotidien. Cette relation se nourrit de l'évangile, de l'évangile non pas considéré comme un code moral, mais de l'évangile qui nous fait cheminer avec Jésus, qui nous fait connaître la façon dont Il a aimé et s'est donné.
Pour résumer, une question : quel est le visage de Jésus qui m'habite quand je suis à mon travail ?
Cette conversion suppose des temps de recul par rapport à ce que nous vivons, afin de contempler, à la lumière du Christ, ce que nous vivons, pour nous questionner sur ce compagnonnage auquel il nous appelle. L'aptitude au changement est liée à ce recul. Temps de reculs, de " relecture ", qui sont prière et moments de lucidité et qui permettent de ressaisir ce quotidien et d'y croître en liberté. Temps de recul dont le ou les rythmes sont à déterminer par chacun ( quotidiens, hebdomadaires, annuels).
3. La vie professionnelle, vecteur d'évangélisation du milieu
Qu'est-ce qui est à évangéliser dans mon milieu professionnel ? Autrement dit : Est-il possible de faire "tache d'huile" dans ce monde à humaniser et évangéliser quitte à aller souvent à contre-courant ?.
Nous ne pouvons qu'être étonnés qu'après 2000 ans, le christianisme n'ait pas plus transformé nos sociétés à la lumière de l'Evangile. Nous avons mieux su faire fonctionner notre intelligence que notre cœur. Il n'est jamais trop tard pour s'y mettre.
Il est évident que cette évangélisation passera d'abord par le témoignage de ce que nous sommes, et nous en revenons à la conversion personnelle, car il ne s'agit pas de " témoigner " pour " témoigner ". Comme le prophète qui ignore qu'il est en train de prophétiser, le " témoin " ignore qu'il témoigne, mais, de fait, il le fait. Nous pourrions donc reprendre tous les points déjà cités au sujet de la conversion personnelle.
Dans ce monde en constante mutation, les transformations sont à vivre au sein même du système. Notre ambition face à ces démocraties fragilisées ne peut se contenter de démarches de compensation des aberrations du système. Nous sommes appelés avant tout à agir aux racines mêmes de l'exclusion, dans l'exercice de nos responsabilités professionnelles et sociales. Appel à la vigilance : nous avons sans cesse à rechercher les éventuelles marges de manœuvres où pourra se déployer notre liberté, mais aussi veiller à ce que les merveilleux instruments technologiques que l'homme fabrique chaque jour - technologiques, économiques ou institutionnels - soient réellement au service de tout homme.
Limites et conditions de cette évangélisation.
Les limites de cette conversion du milieu sont évidentes. Notre pouvoir est limité, et nous ne sommes pas Dieu pour transformer les cœurs ; même Dieu, d'ailleurs, ne peut changer les hommes malgré eux. Il reste que nous ne sommes pas complètement impuissants. Mais c'est bien notre propre manière d'agir qui est déterminante, en ce sens, que l'on ne témoigne pas parce que l'on veut témoigner, mais que l'on témoigne par ce que l'on est.
Encore faut-il avoir le souci devant Dieu, de ce monde de notre quotidien, et un signe de ce souci, sera dans la façon dont nous prions pour eux, dans l'offrande que nous faisons à l'offertoire de la messe, du labeur de tous ceux qui nous entourent, pour que cette vie, leur vie avec la mienne, (la goutte d'eau), devienne, elle aussi corps du Christ. Qui le fera si nous ne le faisons pas ?
L'avenir se fait au cœur du monde actuel. Ce monde dans lequel nous sommes immergés. Il ne pourra se faire qu'à la condition que nous ne faisions pas de séparations entre nos convictions, notre foi en Jésus-Christ, notre appartenance au monde des croyants, notre appartenance à l'Eglise, et ce que nous vivons dans notre quotidien. Cette recherche d'unité dans nos vies nous accule à chercher comment traduire, avec les mots et l'expérience que nous avons de ce monde, le comment vivre notre foi tout au long de nos journées.
4. La vie professionnelle , lieu d'une parole évangélisatrice.
La vie professionnelle nous met en lien avec des personnes pour lesquelles, la plupart du temps :
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l'Eglise est une entité étrangère, voire hostile,
la foi est l'adhésion à une vague croyance mal définie, mais rarement liée à une Révélation,
- 'Evangile est un vague code moral complètement dépassé.
Toutes ces idées sont reçues à travers les médias, à travers des on-dits, à travers l'histoire familiale de chacun. Elles sont entretenues par le monde ambiant, où être chrétien revient à être un véritable dinosaure...
Dans ces conditions, est-il possible d'annoncer explicitement Jésus-Christ dans cette vie professionnelle ?
Personnellement, j'ose répondre "oui" !
Evidemment, il ne s'agit pas de se mettre à haranguer dans les couloirs, ni même de parler à temps et à contre temps.
Dans cette vie partagée, il faut qu'avant tout puisse se tisser des liens d'amitié, de confiance, d'estime réciproques, ce qui suppose de bien faire sa place professionnellement, d'y être compétent, ce qui suppose aussi du temps.
Alors, à l'intérieur de cette amitié, de ce compagnonnage, une parole peut être possible :
- ce peut-être une référence explicite à Jésus-Christ, à ce que " je crois ", si l'autre y est prêt, soit à propos d'un évènement mondial (JMJ) ou familial, soit à propos d'une conversation qui arrive par hasard...
- ce peut être de dire seulement : "non, pour moi, la foi, ce n'est pas cela…", parole qui fait que, petit à petit, un mur, fait d'à-priori, de méfiances, d'idées fausses, s'effrite peu à peu,
- ce peut être une traduction en langage compréhensible, et avec l'épaisseur humaine de notre propre expérience, du " jargon " ecclésial,
- ce peut être, un jour, d'inviter à venir voir, de risquer une parole...
Limites et conditions de cette annonce.
Certaines ont déjà été dites, donnons-en encore quelques unes :
Avoir éprouvé nous-mêmes, de l'intérieur de nos relations, les diverses formes d'incroyance, autrement dit, avoir profondément "entendu" l'autre,
- Etre soi-même très au clair avec l'énoncé de la foi, ce qui ne veut pas dire avoir un doctorat en théologie mais savoir pourquoi je crois et ce qui est essentiel dans la foi, pour moi, comment elle se traduit pour moi.
Ne parler qu'avec beaucoup de délicatesse et de respect. Il faut surtout éviter d'être doctrinal... et doctrinaire, et encore moins polémique. La foi est toujours une proposition.
Savoir dire la foi dans le "jargon" de notre milieu, dire, en quelque sorte, une foi inculturée dans ce monde technique et audiovisuel qui est le nôtre. Et cela est une très grande chance et pour nous et pour la foi et pour l'Eglise, que des hommes et des femmes vivant dans le monde d'aujourd'hui, puissent dire cette foi, avec les mots de tous les jours et à l'intérieur de leur propre mentalité, de leur propre culture. C'est aussi témoigner qu'il n'y a pas contradiction entre notre vie de scientifique, de juriste, d'ingénieur, etc... et la foi.
C'est dire que cette parole ne peut que suivre le témoignage de notre vie...Ce qui me semble important, c'est que l'autre puisse dire " Comment, quelqu'un qui est comme moi, avec la même formation que moi, avec les mêmes centres d'intérêt que moi, quelqu'un que j'estime, quelqu'un qui n'est pas idiot, peut encore, aujourd'hui, être croyant en Jésus-Christ ? ", c'est cela qui fait sortir de l'idée que la religion est affaire, soit de dinosaures, soit de vieilles femmes, soit de gens fragiles etc...Il reste ensuite que la foi est une grâce...
Cette mission d'évangélisation n'est pas facultative pour les baptisés que nous sommes, mais, dans certains cas, elle ne se fera pas sans nous. il est pourtant tentant de s'y dérober, car il n'est pas facile de "prêcher dans sa propre paroisse ", et le Christ lui-même en a su quelque chose quand il a voulu parler dans la synagogue de Nazareth... Il est évident que cela demande du courage, de la vérité et beaucoup de cohérence ; cela ne veut pas dire qu'il faille attendre d'être sans faille et sans faute pour risquer cette parole.
5. CONCLUSION
En conclusion, je terminerai par deux choses :
Pour donner vie à l'évangile dans ma vie professionnelle, que ce soit au niveau de ma propre conversion, de la transformation de ce monde ou de ce que je peux être amené à y dire, il est absolument capital de ne pas y être seul, de partager ce souci avec d'autres, de se laisser interroger avec d'autres, d'être soutenu par d'autres…, en clair, de vivre tout cela en communauté d'Eglise, en équipe, à l'intérieur d'un mouvement ( CVX, MCC ou autres…).
Enfin, j'ai envie de terminer par ce poème de Jean DEBRUYNE :
J'ai dit à Dieu,
Que sa Pentecôte ne valait pas grand-chose,
Que son Esprit n'était pas très efficace
Avec toutes ces guerres,
Ces gens qui meurent de faim,
Cette drogue et tous ces assassinats.
Mais Dieu m'a répondu :
C'est à toi que j'ai remis mon Esprit,
Qu'en as-tu fait ?
Qui fera la Justice si tu ne commences pas à être juste ?
Qui fera la Vérité, si tu n'es pas vrai toi-même ?
Qui fera la Paix, si tu n'es pas en paix avec tes frères ?
C'est toi que j'ai envoyé porter la Bonne Nouvelle.
Jacqueline AUGER, Sœur de la Retraite
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