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Témoignages : Hélène - Eleanor- Danielle

Un itinéraire spirituel à travers LE CHOIX D’UN travail Dans l’industrie …..

POURQUOI J’AI CHANGE D’ORIENTATION ?

REMARQUE PRELIMINAIRE : La vocation religieuse et le choix d’une profession.

Dans la Vie Religieuse apostolique, le choix d’une profession, du ‘faire’, est essentiellement en fonction du Royaume de Dieu, et se vit dans la disponibilité à ce Royaume, sans aucune restriction, car c’est tout le sens des vœux, même s’il est tout de même légitime de chercher à gagner sa vie ( cf St Paul ; et pas seulement pour la gagner d’ailleurs, mais pour participer ainsi pleinement à la condition humaine ). Je pense qu’en cela elle se différencie de la vie du laïc.

Ce changement d’orientation s’effectue en 1979. La question du pourquoi n’est pas TRÈS simple et se situe finalement à la conjonction de plusieurs évènements :

  1. l’enseignement catholique et la vie religieuse. Ce changement d’orientation pour moi, a donc été le passage de l’enseignement catholique à un travail d’ingénieur dans l’industrie. Il semble bon de préciser que l’enseignement était une des missions de ma Congrégation, au moment de mon entrée au noviciat, dans les années 50, ( ce qui n’avait pas été étranger à mon choix de cette Congrégation). A cette époque, antérieure à la loi Debré, l’enseignement catholique ne se maintenait que grâce aux Congrégations religieuses ; c’était donc un champ apostolique réel. En 79, la situation était très différente, l’enseignement catholique avait pignon sur rue, le recrutement de professeurs laïcs ne posaient plus de problèmes économiques et les vocations à l’enseignement ne manquaient pas. Il y avait donc une possibilité réelle de changement.

  2. Nous sommes depuis longtemps dans l’après concile, mais dans ma Congrégation a lieu en 1976 un chapitre général (auquel je participe) qui se révèle très interrogé par l’incroyance, de plus en plus généralisée, particulièrement en France.
  3. J’ai un problème de santé qui m’arrête pendant 3 ans (76/79). Je viens d’être professeur pendant une quinzaine d’années puis directrice d’un lycée pendant 5 ans ; un métier que j’ai beaucoup aimé sous ces deux formes différentes. Je dois donc reprendre un nouveau travail, et dans un premier temps, il me semble évident que je dois reprendre de l’enseignement, le seul métier que je connaisse…Il se trouve tout de même qu’au cours de ce long arrêt de travail, j’ai pris du recul et réfléchi à la portée apostolique de ma vie ; j'en découvre à la fois, les valeurs et les limites.
  4. Une religieuse de ma Congrégation, à laquelle je suis très liée, me pose alors la question : Pourquoi ne changerais-tu pas complètement d’orientation ? Il me semble qu’il nous faut sortir des milieux chrétiens (qui étaient alors la clientèle des écoles catholiques ) ; tu as des capacités pour cela, tu as des relations qui peuvent t’aider…
  5. Je suis séduite par cette perspective. Je fais un discernement, qui sera d’ailleurs repris trois ou quatre ans plus tard, en connaissance de cause, j’en parle à ma supérieure provinciale qui n’est pas très chaude au départ…mais me soutiendra résolument par la suite, aussi bien que celles qui lui succéderont…Et je me mets en chasse ; En 79, il n’y a pas de chômage en tout cas pour les cadres, et une possibilité s’offre à moi, de rentrer dans une société d’électronique professionnelle, comme ingénieur…et voilà, je m’embarque dans ce qui est alors pour moi, une réelle aventure !

Pour conclure je dirai deux choses :

  • d’une part que j’ai énormément aimé ces deux phases de ma vie professionnelle, et quand on me demande laquelle j’ai préférée, je suis incapable d’y répondre !

  • qu’il n’y a pas de comparaison à faire quant à la portée apostolique de différents types de professions. Tout est affaire à la fois d’aptitudes et d’appels de chacun. Il me semble que si l’on peut distinguer entre des engagements carrément pastoraux, des professions à caractère social et les autres, ces différents types de vie professionnelle peuvent et doivent s’interpeller et s’enrichir mutuellement.. L’Eglise c’est tout cela et elle a besoin de tous.

COMMENT J’AI VECU CE CHANGEMENT ?

il y a plusieurs étapes dans ce changement. Il me faut d’abord me situer et situer le contexte  :
J’ai alors 47 ans, je suis de formation universitaire scientifique, la seule profession que je connaisse est l’enseignement ( où j’ai exercé des responsabilités), et je suis une femme.
A cet âge là, dans l’industrie, on est généralement dans un poste de responsabilité, ce dont je suis bien incapable et que d’ailleurs, même plus tard je ne désirerai pas….Je suis donc plutôt entourée de jeunes hommes de 25 à 30 ans, avec lesquels je nouerai de solides amitiés (même s’ils ont plutôt l’âge d’être mes fils !).
C’est un milieu très très masculin ( ce dont je n’ai point trop l’habitude), voire misogyne, je serai tout un temps la seule femme parmi la centaine de cadres de l’époque…Les femmes sont secrétaires ou câbleuses…
Je suis de formation universitaire, très différente culturellement de la formation d’ingénieur, et je ne suis entourée que d’ingénieurs et de techniciens ; cela veut dire décalage à la fois, dans les connaissances techniques et dans la façon d’appréhender la réalité, fut-elle technique . Au café le matin ( à l’époque, il n’y a pas de distributeurs de café et on le fait donc dans chaque service), on discute plus des matchs de foot que des articles du monde auquel on préfère l’Equipe, journal de loin le plus lu, là !

La première phase.

Pendant toute cette 1re phase, je travaille en labo, ce que nous appelions, la direction technique, c’est à dire en « recherche et développement ».
Je vis cette phase-là avec une grande curiosité ; j’avais l’impression, même si cela peut paraître très prétentieux, d’être comme un «  mouchard » qui était là, pour Dieu et pour l’Eglise…

  • Pour dieu qui regardait avec amour tous ces hommes et toute cette activité humaine, des gens faisant marcher leur cerveau et d’autres leurs bras…

  • Pour l’Eglise qui, dans sa parole, devait prendre en compte aussi toute cette activité cérébrale ou humaine de tout homme.
  • Pour la vie religieuse et ses activités apostoliques aussi ; j'ai des sœurs qui, par exemple, donnent des retraites ; comment ce que je vis peut-il changer un peu leur regard et leur discours?

En même temps, ma présence pouvait «  dire » ( de manière très symbolique) à tous ces gens qui passaient une grande partie de leurs journées ici, que cette vie là, leur vie, valait la peine d’être vécue, puisque moi, qui avait voué ma vie à Dieu, je venais les rejoindre, rejoindre leurs activités fussent elles hautement profanes( on travaille ici dans des activités de Défense)… Tout cela est sans doute très prétentieux, mais je le ressentais comme cela !

Intellectuellement, découverte aussi de toute une manière de travailler, le passage de la théorie, qui, dans l’enseignement m’était familière, à la pratique… Et je me souviens de cette parole de mon premier directeur : Ici, on n’est pas là seulement pour chercher, mais aussi pour trouver !

Découverte donc aussi de la mentalité technique, technicienne devrait-je dire, car elle concerne aussi bien les ingénieurs que les techniciens proprement dits …Il m’est peut être difficile maintenant après m’y être plongée moi-même, de dire ce qu’elle a d’étonnant ; c’est une manière simplifiante ( sans aucun sens péjoratif ), de voir les choses, de les voir comme en noir et blanc, des « 0 » et des « 1 » comme dans le langage informatique, et en même temps une grande fierté – qui n’est pas du tout orgueil - des prouesses techniques avec tous les risques que cela suppose ; ce n’est pas rien quand les choses se passent exactement comme on les a prévues par le calcul ! J’ai moi-même ressenti très fort cela, cet étonnement qui est en même temps humilité ! Mais du coup, n’est réel, que ce qui est démontrable et que l’on peut prouver, toucher, en quelque sorte. Et l’on devine là les enjeux et les difficultés pour un chemin de foi, cette autre manière de connaître …J'ai d'ailleurs l'impression que la relation amoureuse dans la mesure où elle échappe au rationnel, les déroute aussi quelque peu !

Une découverte aussi d’une autre façon d’être en relation tant avec les collègues qu’avec ce qu’ils nomment la «  hiérarchie », mot que je découvre aussi étonnant que cela puisse paraître pour moi qui appartient à une Eglise dite très hiérarchique. Cette réalité de la hiérarchie dans le travail, j’en prendrai encore plus conscience plus tard, quand j’aurai l’occasion ( ce qui m’arrivera souvent), d’aller dans les unités de production en province.…Ce qui me frappe c’est l’absence de dialogue avec les «  chefs », pour tout ce qui n’est pas technique, l’absence, en fait, de relations «  humaines »…C’est là, entre autre, que l’arrivée de femmes parmi les cadres sera importante, et modifiera quelque peu la donne….

Evidemment, découverte soupçonnée aussi, mais découverte quand même, d’un monde où Dieu ne dit rien, ne fait pas partie de l’univers …si on peut dire ! Et cela d’une façon très massive, insoupçonnable finalement quand on reste en milieu dit « chrétien » ( Un peu comme on découvre la pauvreté dans les pays sous développés de façon massive…) ; En fait, j’aurais envie, par rapport à cette relation à Dieu, de diviser ce monde en quatre catégories :

  • ceux pour qui Dieu est complètement absent, une notion vide, un ensemble vide comme on dit en math ; ignorance totale : Dieu et JC ne sont pas connus…

  • ceux qui pensent connaître Dieu et l’Eglise, soit à travers une expérience d’enfance, soit à travers les médias ; là, on trouve énormément d’idées fausses comme on peut l’imaginer, et souvent un réel anticléricalisme !
  • ceux qui sont chrétiens et sans doute pratiquants, mais pour lesquels la foi se pratique chez soi et non au boulot, comme me le dit un jour mon chef de service…
  • et puis il y a les chrétiens comme vous et moi, tâtonnant bien sûr, mais pour lesquels Dieu, JC, L’Eglise, sont source de vie ; mais d’une part, ils sont très peu nombreux, et d’autre part, on a beaucoup de mal à les repérer à l’époque ; il me semble que plus tard, ce sera plus facile, qu'ils se dévoileront plus ...Au début des années 80, je n’ai aucun mal, par contre à repérer les gens de la cellule communiste, qui sont d’ailleurs tous à la CGT, et qui se serrent les coudes …

Cette découverte là interroge ma foi, ma façon de croire, me révèle l’incroyant qui sommeille en moi, elle est épreuve même pour cette foi.

J’ai la chance alors de partager mon bureau avec un jeune ingénieur qui sera un ami, qui m’initie aux arcanes de la Société et avec lequel j’aurai l’occasion de faire un travail passionnant…. Au cours de cette période, je l’accompagnerai aussi sur un chemin personnel difficile . Déjà, je suis frappée par le «  compagnonnage »  que l’on peut vivre dans le travail, en particulier avec celui ou ceux dont on partage le bureau… Bien des fois, je me suis dit que je passais plus de temps par jour ( de 9 à 10 heures) avec mon « cothurne »( si l’on peut dire), que lui avec sa femme …Or, si au bureau on travaille, on parle aussi !

Pour illustrer un peu ce propos, je peux dire un mot de ce compagnonnage dont je viens de parler avec ce jeune ingénieur que sa femme laisse tomber après 3 ans de mariage, le laissant avec un bébé de 18 mois, dont il ne sait pas bien comment s’occuper… Ainsi, par exemple, je l’emmène 4 jours en province chez une couple de neveux qui ont 3 enfants en bas âge et près desquels il apprend … Je lui dit aussi comment trier le linge pour la lessive… ; quelques semaines après cette séparation, il en tombe malade ( pneumopathie), et je l’emmènerai avec d’autres amis, en montagne, dans une pension de famille tenue par ma Congrégation… Cette histoire ensemble sera longue et se continuera alors que j’aurai changé de service, mais je « descendrai » le voir tous les jours…à tel point que mon chef de service pense que je continue à travailler dans le service précédent…

Cette première phase s’achève surtout parce qu’il n’y a plus de travail pour moi à la direction technique, il me faut donc me placer ailleurs dans l’usine, et je passe dans un secteur beaucoup plus hiérarchisé, avec un métier qu’il me faut apprendre : la documentation technique, qui consiste à écrire les bouquins qui décrivent l’utilisation, le fonctionnement et la maintenance des équipements ou systèmes fabriqués par la Société.

Ce que je peux dire de cette première phase quant à mon évolution spirituelle :

Ce qui la caractérise sans doute, c’est la recherche tâtonnante d’une spiritualité qui me fasse vivre et fasse vivre les autres, qui unifie ma vie et la rende cohérente …On disait beaucoup à l’époque, combien la spiritualité ignatienne était une spiritualité particulièrement adaptée à notre temps…mais j’ai l’impression que je l’ai apprise en théorie, cette spiritualité, et je soupçonne ceux qui me l’ont apprise de ne pas trop s’être heurtés à ce monde…Dire que rien n’est profane, est une belle formule, encore faut-il s’être confronté au complètement profane qui est le pain quotidien de la plupart des gens… Donc, je cherche et parfois je trouve…ce qu’il est difficile souvent de mettre sous les mots. Ce qui m’a le plus aidée à l’époque : l’accompagnement spirituel qui m’oblige à dire et à prendre de la distance, et la relecture …Je pense avoir alors plus appris, dans cette vie de travail, de cette spiritualité ignatienne que tout ce qu’on m’en avait enseignée…Ce qui est sûr, c’est qu’au contact de tant de découvertes, je change, je m’ouvre surtout à la différence…et mon regard devient en quelque sorte plus contemplatif….J’ai fortement conscience de n’être pas seule, que le Christ est compagnon de mon quotidien. Il est clair que sur le plan apostolique, je suis alors surtout « présence », et « pont » aussi, entre cet univers et Dieu…Ce que je veux dire, c’est que je prie pour tout ce monde, et qu’à la messe, l’offrande que je fais, la « goutte » d’eau, est aussi celle de la vie de tous ces gens qui m’entourent et qui ainsi devient divinisée…

La deuxième phase

Cette phase est marquée par le douteet se terminera par un discernement dans les règles de l’art !
Elle ne sera pas longue, mais vraiment douloureuse…Je pense qu’il y a deux causes à cela :

  • l’usure, chacun connaît bien ce phénomène de désenchantement qui suit une période très riche en découvertes, quand on a l’impression d’avoir fait le tour d’un certain nombre de choses et de réalités,

  • le fait de ne plus trouver ma place professionnellement, de me sentir inadaptée et incompétente sur tout…

Du coup, je doute de la portée apostolique de cette vie, de mes capacités physiques, intellectuelles et spirituelles à l’assumer…
Je réponds à des petites annonces ( j’ai failli à l’époque être embauchée par La Croix !), puis, je prends contact avec la Direction de l’Enseignement catholique J’établis des contacts dont un pour lequel je m’engage oralement…Mais, je vis cela très mal, comme une désertion…Je décide de faire un vrai discernement, et en particulier, j’en parle à l’équipe CVX à laquelle j’appartiens depuis 4 ou 5 ans, pensant que vu leur esprit et leurs professions, ils pouvaient m’aider…Nous passons une réunion entière à cela, ils m’aident à objectiver ce que je ressens , et certains me donnent leur avis… Le prêtre accompagnateur, en particulier, me dit tout net, que la place d’une religieuse est beaucoup plus dans l’enseignement catholique que dans l’industrie, d’autres sont plus nuancés ; il reste qu’il est toujours difficile de situer l’aide que l’on attend des autres dans une telle démarche ; toujours est-il que je sors de cette réunion avec deux convictions aussi fortes l’une que l’autre :

  • on me conseille en général d’aller vers l’enseignement ( tout au moins c’est ce que j’entends),

  • je resterai !

En fait je ne prendrai ma décision que 24 heures plus tard, après en avoir parlé à mon accompagnatrice qui m’avait vraiment laissé mariner, mais qui voyant combien j’avais changé de tête une fois ma conviction établie, m’a confirmé que rester était le bon choix ; c’est certainement là une décision prise dans la plus pure tradition ignatienne : j’ai beaucoup prié, j’ai consulté et demandé conseil ( ce qui en fait me permet de me clarifier à moi-même le pourquoi et le comment), et je suis dans une paix profonde, une disponibilité …à toute épreuve  et un réel dynamisme ! Ce discernement aura une importance capitale pour moi, tout au long années qui me restent à vivre là !


La troisième phase

Cette phase est de loin la plus longue, puisqu’elle durera une quinzaine d’années ; elle est profondément marquée par la conviction absolue, que c’est là que le Seigneur me veut, et cela durera jusqu’à ma retraite, y compris quand j’aurai des propositions pour l’anticiper ( compte tenu quand même que mes chefs successifs de service ont toujours exprimé leur désir que je reste !)

Du coup professionnellement, je me mets à bosser comme une dingue et je me bagarre ; je n’ai pas encore beaucoup de relations dans mon nouveau service( je suis maintenant dans le service de documentation technique où je suis rédacteur ) , mais des amis ailleurs dans l’usine à qui je peux demander un coup de main ; je me bats aussi pour qu’à l’intérieur du service, je puisse avoir une aide compétente ; petit à petit, je suis considérée comme vraiment bonne. De ma formation première, il reste que je sais rédiger, et du coup, je serai considérée comme littéraire, ce qui me fait vraiment rire ! De plus des réorganisations de structures amènent des changements de direction qui me seront très bénéfiques ...

Spirituellement et apostoliquement, cette phase est très riche pour moi, je suis à l’aise dans ma peau…et si un jour ou l’autre le doute me reprend, je reviens au discernement précédent …Je pense que si j’ai pu écrire le papier que vous connaissez dans CVX info, c’est surtout dans cette période là que beaucoup s’est construit ! Mon « métier » me donne l’occasion de rencontrer beaucoup de gens d’un peu tous les services y compris dans deux usines qui sont en province, j’y noue des amitiés solides, la majeure partie du temps avec des gens qui ne partagent pas ma foi mais avec lesquels je peux la dire et avec qui je partage des valeurs communes…Nous arrivons ainsi à échanger sur des domaines qui nous sont mutuellement étrangers ( expériences sexuelles d’un côté, foi en JC de l’autre, par exemple !)…

Je ne veux pas reprendre ici tout ce que j’ai déjà écrit dans mon papier, mais en dire seulement quelques mots comme en illustration.

La conversion personnelle dont je parle, je pense qu’elle est patente à travers tout ce que dis là…Elle n’est pas attitude volontariste… une des difficultés que nous ressentons tous en ce domaine est la fameuse question du témoignage : quel exemple puis-je donner alors que je suis si peu impeccable ? La question n’est pas là, je pense, même si elle nous taraude toujours quelque peu ; je pense quant à moi, que l’essentiel est de vivre de JC et de se laisser ensuite interpeller et transformer par lui à travers son évangile et à travers notre vie …Je pense que la pratique de la relecture est primordiale, et que parfois, même au milieu de la journée, elle peut être très courte mais suffire pour nous situer « ailleurs » !

Je voudrais seulement dire un mot de l’apprentissage de la liberté dans cette vie . Personnellement, la figure du Christ qui m’habite tout au long de ces jours, est la figure du « CHRIST HOMME LIBRE ! ». Cet apprentissage est à faire par exemple quand des questions se posent qui proviennent de la peur d’être jugés ou également du désir d’ avoir «  la cote » : rester tard au travail, aller dans le sens du poil du patron, se conformer à ce qui se fait autour de nous, etc…Cette liberté est souvent à acquérir à travers ce que nous estimons « juste ». Je ne donnerai qu’un exemple personnel qui rejoint en même temps ce que l’on peut appeler la conversion du milieu…Trois services, soient A, B, et C, sont sous la responsabilité de trois chefs et d’un directeur pour l’ensemble que j’appellerai DUPONT. J’appartiens au service A, mais je sais qu’il y a d’énormes problèmes dans le service B à cause d’un chef de service ( que j’appellerai MARTIN) qui, pratiquement est un pervers qui démolit tout le monde y compris le directeur… Après mûre réflexion, discernement et tout, sachant que je peux être entendu par DUPONT, je vais voir celui-ci et je le mets en garde parce que je pense que le bien de la Société est en jeu   … c’est tout ! Quelques semaines plus tard, le chef en question est déplacé et « chargé de mission » ; or, 5 ou 6 ans après, juste avant mon départ en retraite, DUPONT, qui n’est plus mon directeur, vient me voir et me dit : «  Je tenais particulièrement à vous remercier pour m’avoir mis en garde contre MARTIN… Ce que je ne comprends pas ajoute-t-il, c’est que un tel qui appartenait à ce service ( et qui succédera à MARTIN), ne m’ait pas avertit ; je le lui ai demandé et il m’a répondu :" je suis chrétien et en tant que chrétien je ne pouvais rien dire contre mon chef   ! » . J’ai alors répondu à DUPONT : Eh bien moi, je suis chrétienne et je fais passer la justice avant la charité.

L’annonce explicite de JC ? Là encore j’ai dit combien il faut être prudent et savoir attendre (parfois fort longtemps), les questions, tout en étant, par contre, prêt à y répondre …C’est à dire qu’il ne faut ni se dérober, ni avoir des réponses toutes faites…L’expérience montre que dans les catéchuménats et même à CVX où l’on rencontre des « recommençants », le « tilt » est venu de la rencontre de chrétiens au boulot ou ailleurs…Je cite trois exemples ici :

  • Hélène, à qui je dis que je suis religieuse, après avoir partagé le même bureau depuis plusieurs mois, dit son étonnement que l’on puisse être croyant à ce point tout en ayant un fort esprit critique comme moi, une certaine colonne vertébrale aussi ( la foi, vue comme nécessaire aux faibles ). Je discuterai souvent avec elle, et en particulier des réunions CVX ou MCC…

  • Paul, qui essaie de me convertir à son athéisme sans y parvenir ( et ce n’est pas coton tous les jours ), mais qui, un jour, inopinément et à mon énorme étonnement, me dit la chance que j’ai d’avoir la foi…
  • Sylvie, farouchement anti tout ce qui est chrétien, et avec qui j’échangerai énormément ; elle m’invite un jour à venir chez elle, pour dire à sa fille qui la questionne, qui est Dieu, puisque, depuis qu’elle me connaît, elle ne sait plus, ce qui me met bien dans l’embarras…J’emmènerai Sylvie à un Congrès du MCC, et c’est elle qui me dira un jour que ce qui l’a le plus frappée chez moi, c’est ma liberté…..

En guise de conclusions ou de questions

J’ai supposé qu’à entendre cela , trois questions pouvaient surgir ; il m’a semblé important d’y réfléchir afin d’y voir plus clair pour mon propre compte …

1 - Pourquoi ne me suis-je pas située comme les prêtres ouvriers, qui ont pris souvent des engagements syndicaux pour agir sur les structures ?

2 – Ai-je dit ou ai-je tu que j’étais religieuse et pourquoi ?

3 – Comment suis-je reliée à ma Congrégation ?

Je vais essayer d’y répondre successivement….

1 - Pourquoi ne me suis-je pas située comme les prêtres ouvriers, qui ont pris souvent des engagements syndicaux pour agir sur les structures ?

Quand je suis rentrée dans ce travail, j’ai pris contact avec deux prêtres au travail…L’un se situait dans la tradition des prêtres ouvriers avec un fort engagement syndical, une volonté de transformer les structures par des luttes s’il le fallait ; l’autre, qui était technicien en électronique, se situait de manière beaucoup plus discrète et tout autrement ; je pense que ces deux approches sont nécessaires, et que chacun fait selon ce qu’il est et qu’il sent ; on aura compris que mon approche personnelle se situe surtout comme celle du second prêtre : vivre avec les gens, comme eux, présence de type plus mystique dirons-nous, tout en saisissant toutes les occasions pour dire ce qu’est JC et son amour et son histoire et son évangile, sans pour autant, évidemment, haranguer dans les couloirs ; être là d’abord, vivre, comprendre, aimer…et dire, quand l’opportunité se présente ! Aucun doute aussi, que lorsque je suis arrivée dans cette usine comme cadre, usine où seul un petit secteur était ouvrier, fortement syndicalisé à la CGT( très dominée elle-même par le PC), et où la CGC m’apparaissait comme un syndicat très corporatiste, je n’ai pas été tentée du tout… Il se trouve aussi, que je suis fille de patron, et que même si mon père était un petit patron, il était vraiment patron…et il en était de même du reste de ma famille, et j’ai été forgée comme cela ; il m’a fallu un certain temps pour comprendre pleinement la nécessité du syndicalisme comme contre-pouvoir dans l’entreprise ; je me suis toujours intéressée de très près à l’action syndicale et j’ai suivi un certain nombre de leurs directives, j’ai beaucoup admiré la générosité et l’engagement total de certains cégétistes qui payaient très cher cet engagement, non seulement au plan de leur carrière, mais aussi affectivement, dans les relations avec les collègues.

2 – Ai-je dit ou ai-je tu que j’étais religieuse et pourquoi ?

Au départ, et même ensuite, je n’ai pas dit systématiquement que j’étais religieuse, ceci sur le conseil du Directeur de division, frère d’une amie, par qui j’avais été embauchée et qui lui-même était chrétien et connu comme tel . Et cela tout simplement, à cause de l’image de marque des religieuses qui traîne dans beaucoup de têtes…et aussi d'un anti-cléricalisme qui reste bien réel…Par contre, j’ai toujours dit que j’étais croyante et pratiquante, et même, quand cela était possible, engagée…J’ai toujours portée une croix ordinaire, mais ostensiblement.
Plus tard et occasionnellement, je l’ai dit à l’un ou l’autre, avec des réactions d’ailleurs fort diverses, les uns, ne sachant absolument pas ce que ça voulait dire, et d’autres que cela étonnait fortement…ce qui a d’ailleurs donné lieu à des dialogues intéressants… Ensuite, cela s’est dit quelque peu de bouche à oreille…

3 – Comment suis-je reliée à ma Congrégation ?

D’une part, je vis dans une communauté de sœurs, dont je partage et les tâches matérielles et les questionnements et où nous échangeons très concrètement sur ce que nous vivons.
Par ailleurs, tout chrétien, laïc ou religieux, participe à la mission de l’Eglise ; il est, partout où il vit, présence d’une Eglise qui l’envoie. Pour les religieux, cet envoi passe par des médiations humaines très identifiables qui nous aident à vivre cet envoi en mission de façon claire (c’est le rôle des supérieurs ) et en partage et compagnonnage avec toutes les sœurs et en particulier avec les plus proches, parce que la mission est commune, elle n’est pas le pré carré de chacune. Depuis le début de cette mission pour moi, il me semble avoir eu une conscience claire que je n’ y vis pas seule ; d’autres, l’ensemble des sœurs, est là avec moi, en « compagnonnage », bien que de manière très mystérieuse ; ce n’est pas seulement ma mission, mais celle de toutes et ces « toutes » se chargent de m’en déposséder en quelque sorte …. Par ailleurs, je suis aussi solidaire et «  compagnon », concrètement, de la mission de celles qui œuvrent dans des secteurs très différents …et cette variété est richesse. Je pense en particulier, à telle et telle sœur auxquelles je suis liée par des liens d’amitié qui font que nous correspondons très régulièrement, l’une est en aumônerie de lycée, l’autre au Chili où elle vit dans une población…Je pense que ce type de compagnonnage peut se vivre aussi très fort, à l’intérieur d’une équipe CVX, à condition que cela s’exprime clairement.

Il s’agit maintenant de conclure. :
L’entreprise peut apparaître comme un monde très éloigné de Dieu et de l’Eglise où l’on ne peut que se salir les mains, où les logiques sont étrangères à ce qui nous parait évangélique, où l’argent est roi et où règnent surtout des rapports de pouvoir…Tout ceci fait un tableau très noir, et je ne pense pas que ce soit celui du regard de Dieu. Ce qui me semble important, c’est de croire vraiment que c’est là que Dieu a besoin de nous, pour essayer de faire de ce monde où nous travaillons, un lieu où se continue la création, un monde où c’est à nous de faire que les logiques économiques ne soient pas déshumanisantes, un monde où il est possible de vivre en liberté, de vivre en aimant…Tout cela implique de notre part, non d’être des purs (l’Eglise elle-même n’est pas un monde de purs ), mais d’apprendre à y exister pleinement en croyant à JC. Cela n’est pas automatique, et suppose une réelle vigilance et une intimité avec le Seigneur. Cela suppose aussi que nous cherchions avec d’autres (en équipe CVX par exemple) , car cette recherche n’est jamais une recherche uniquement personnelle.

Il s’agit ainsi d’être cohérent dans le quotidien, en recherche d’unité dans nos vies, recherche qui nous amènera à traduire avec les mots et l’expérience que nous avons de ce monde, le comment vivre notre foi tout au long de nos journées, et, par là, d’apprendre à dire JC de façon crédible, avec ces mots qui sont aussi ceux de tous les jours. En un mot : AIMER CETTE VIE !


Jacqueline AUGER, Sœur de la Retraite

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