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Un écho de Marie-Thérèse AUNIS, Soeur de La Retraite vivant à Reims

Thérèse de Lisieux : De la prière à Jésus à la prière en Jésus

Prière de pauvre

Nous avons un peu perçu la continuité de la prière de Thérèse et son sens de l'action de grâces. Sa prière est-elle donc facile ? Eh bien, non. Thérèse reconnaît qu'elle dort à l'oraison (A 75). L'obligation de prier tous les jours et longuement lui fait comprendre que c'est impossible aux seules forces humaines, alors qu'elle est encore une toute jeune fille et qui manque de sommeil. Il y a plus grave : elle s'avoue parfois "INCAPABLE de prier" (LT 143), et cela au temps même du priorat de Mère Agnès, alors qu'elle connaît l'épanouissement de sa vie religieuse. C'est elle-même qui souligne le mot "incapable". Mais, dans cette épreuve de vérité, Thérèse ne se décourage pas. Elle est venue au Carmel pour "Jésus seul", non pour ses sœurs ; elle va à la prière pour Jésus seul, non pour sa consolation personnelle. Dans le dépouillement de la foi, sa prière est oblation désintéressée.

Loin de cacher cet état, Thérèse parle abondamment d'aridité, de tunnel, d'obscurité, quand ce n'est pas de tempête : signe que sa prière est épreuve et combat, longtemps avant la nuit ultime où il lui semble partager l'incrédulité de ceux qui ont abusé des grâces de Dieu. Pendant la retraite qui précède sa profession, retardée et longtemps désirée, elle écrit : "je ne comprends pas la retraite que je fais, je ne pense à rien, en un mot je suis dans un souterrain bien obscur !..." Pourtant, si elle implore les prières de sœur Agnès de Jésus, ce n'est pas pour être délivrée de cette épreuve, mais que "mes ténèbres servent à éclairer " les âmes (LT 112, 1er septembre 1890).

Quant à elle, elle consent à "marcher toute (s)a vie dans (cette) route obscure", pourvu que Jésus soit content et qu'elle parvienne ainsi au terme de l'amour. elle n'est pas en retraite pour elle-même, mais pour Jésus. Elle est prête à se dépouiller de tout pour lui, même des joies spirituelles qu'il lui a données. Les renoncements nécessaires à la quête de l'Unique ne l'effraient pas. Au contraire, vide des créatures, elle aspire aussi à se vider d'elle-même pour laisser toute la place au Seigneur (LT 137 à Céline). C'est en ce sens qu'elle vient d'interpréter le mot de Jésus à Zachée :"Hâtez-vous de descendre, il faut que je loge aujourd'hui chez vous". Pour le cœur de Thérèse, c'est un appel à rejoindre la pauvreté de Jésus : "Être si pauvres que nous n'ayons pas où reposer la tête".

Consciente de sa radicale pauvreté, de son impuissance foncière, Thérèse ne se montre pas démoralisée pour autant : on dirait que l'épreuve la provoque à un amour plus inventif. Dans ses actions de grâces si peu consolées, elle ne pense qu'au "plaisir de Celui qui se donne à (elle)." Et elle recourt aux trésors de l'Eglise dont elle se perçoit comme l'enfant. Puisque d'autres savent mieux faire, elle les appelle à son secours, en benjamine sûre d'être entendue et aimée. "Je me figure mon âme comme un terrain libre et je prie la Sainte Vierge d'ôter les décombres qui pourraient l'empêcher d'être libre, ensuite, je la supplie de dresser elle-même une vaste tente digne du Ciel, de l'orner de ses propres parures, et puis j'invite tous les saints et les Anges à venir faire un magnifique concert. Il me semble, lorsque Jésus descend dans mon cœur, qu'il est content de se trouver si bien reçu, et moi je suis contente aussi..."(Ms A, 80 r°). Thérèse a souligné deux fois le mot "libre", signifiant que sa prière est essentiellement disponibilité à Dieu. Que la première invoquée soit la Vierge Marie témoigne assez de la place qu'elle tient dans la prière de Thérèse qui souhaite vivre avec elle l'accueil de Jésus. Détachée d'une activité propre qu'elle sent toujours insuffisante, Thérèse se réjouit de fêter son Seigneur dans la communion des saints.

Elle ne peut pourtant empêcher les distractions ? Qu'à cela ne tienne ! "je prends la résolution d'être tout le reste de la journée en action de grâces..." Sa faiblesse l'incite à prolonger cette prière par égard pour le Seigneur, son attention restant toujours tournée vers Lui. Cette prière qui s'étend à toute la journée s'accompagne de la fidélité dans les petites choses ; et Thérèse compte bien que Jésus l'aidera dans les grandes. Elle rappelle à Céline que Jésus a rempli "les filets des apôtres qui n'avaient rien" (c'est elle encore qui souligne ce mot). "Voilà bien le caractère de Jésus, poursuit-elle, Il donne en Dieu, mais Il veut l'humilité du cœur..." (LT 161).

C'est ainsi que le progrès de Thérèse dans la prière va de pair avec son progrès dans la pauvreté, l'humilité du cœur. Dans l'acte d'offrande à l'Amour miséricordieux, Thérèse offre à Dieu son impuissance pour en recevoir la sainteté et ses seuls désirs pour tout l'amour divin. A Sœur Marie du Sacré Cœur, qui se plaint de n'éprouver aucun des grands désirs de sa jeune sœur, celle-ci explique à quel point cette autre forme de pauvreté peut plaire à Dieu :

"...comprenez que pour aimer Jésus, être sa victime d'amour, plus on est faible, sans désirs ni vertus, plus on est propre aux opérations de cet Amour transformant et consumant... Le seul désir d'être victime suffit, mais il faut consentir à rester pauvre et sans force et voilà le difficile car "Le véritable pauvre d'esprit où le trouver ? Il faut le chercher bien loin" a dit le psalmiste, (..) restons donc bien loin de tout ce qui brille, aimons notre petitesse, aimons à ne rien sentir, alors nous serons pauvres d'esprit et Jésus viendra nous chercher, si loin que nous soyons il nous transformera en flammes d'amour (...). C'est la confiance et rien que la confiance qui doit nous conduire à l'Amour..." (LT 197, 17 septembre 1896).

Toute pauvre, Thérèse est toute confiante, parce qu'elle a compris l'infinie miséricorde de Dieu, parce qu'elle a le sens de sa paternité : "un petit enfant attend tout de son père " (DE, 6 août 1897). Une telle dépendance est douce. De plus, Thérèse n'est pas seule ; le sens de l'Eglise et de la communion des saints la soutient.

La richesse de l'enfant

En effet, dans sa pauvreté, Thérèse maintient le dialogue avec son Seigneur en s'appuyant sur la prière des autres : "j'aime beaucoup les prières communes car Jésus a promis de se trouver au milieu de ceux qui s'assemblent en son nom, je sens alors que la ferveur de mes sœurs supplée à la mienne" (C, 25 v°). La promesse du Seigneur conforte la jeune religieuse en même temps que la présence des autres. C'est de Lui surtout qu'elle attend le secours.

Dès avant son entrée au Carmel, pour Pranzini, Thérèse offre non ce qu'elle a, mais ce que l'Eglise met à sa disposition : "Sentant que de moi-même je ne pourrais rien, j'offris au Bon Dieu tous les mérites infinis de Notre-Seigneur, les trésors de la sainte Église, enfin je priai Céline de faire dire une messe dans mes intentions " (A, 45 v°). Puisqu'elle n'a rien, elle prend les richesses spirituelles là où elles sont, convaincue que ce sont les siennes aussi, celles de sa famille véritable ; mais elle ne prend que pour offrir, donner, transmettre. La grâce de Noël a ouvert son cœur à la vraie charité et à une prière d'intercession qui ne cessera plus. C'est aux pécheurs d'abord que Thérèse souhaite la réconciliation ; puis aux prêtres, la sainteté, selon la vocation du Carmel : " l'unique fin de nos prières et de nos sacrifices est d'être l'apôtre des apôtres, priant pour eux pendant qu'ils évangélisent les âmes par leurs paroles et surtout par leurs exemples " (Ms A, 56 r°-v°).

La famille humaine de Thérèse n'est pas exclue de sa prière, mais celle-ci, s'élargissant, rejoint les missionnaires, le monde entier, et l'amène au désir d'une annonce de l' évangile qui couvre tous les temps et tous les lieux. A ce point d'universalité, on s'aperçoit que cette prière de pauvre, d'enfant qui n'a rien "gagné", est aussi la plus riche et la plus puissante, parce que sa confiance a pris Dieu pour seul point d'appui et qu'en lui elle retrouve tous les autres. Très concrètement, d'ailleurs, Thérèse s'appuie sur la parole de Dieu qu'elle médite et qu'elle aime à citer. Au Père Roulland elle fait part de son oraison en recopiant pour lui les passages d'Isaïe qui lui parlent au cœur par leur élan universaliste :

" Prenez un lieu spacieux pour dresser vos tentes... Vous vous étendrez à droite et à gauche, votre postérité aura les nations pour héritage, elle habitera les villes désertes (...) votre cœur étonné se dilatera lorsque la multitude des rivages de la mer et tout ce qu'il y a de grand parmi les nations sera venu vers vous " (LT 193).

Thérèse prie avec ceux qui sont loin, mais aussi avec ceux qui sont proches, avec l'une de ses novices, par exemple, pour que la sœur de cette dernière se consacre à Dieu. Cette demande est exaucée à la fin du Carême, selon le souhait de Thérèse qui n'hésite pas à parler de "miracle obtenu par la ferveur d'une humble novice" ; et elle poursuit avec enthousiasme :

" Qu'elle est donc grande la puissance de la prière ! On dirait une reine ayant à chaque instant libre accès auprès du roi et pouvant obtenir tout ce qu'elle demande " (C, 25 r°).

L'image de la reine ne paraît pas avoir été inspirée par Esther qui n'est jamais citée par Thérèse. Il semble plutôt qu'on trouve ici, magnifié, le souvenir de la "petite reine" exaucée par son "Roi" qui est son père. C'est l'enfant qui est roi dans une famille, c'est pour lui que ses parents travaillent ; et Thérèse qui veut rester toute-petite entre les bras de Dieu a bien compris que cette humble place est aussi celle du plus merveilleux pouvoir. La royauté de Dieu est au service de ses enfants ; la prière, qui n'a rien pour elle que sa pauvreté, peut tout demander : elle est la reine favorisée de l'amour paternel de Dieu. Son vide attire la plénitude divine.

Thérèse en est sûre, moins à cause de son expérience d'enfant choyée qu'en raison de sa foi en l'Alliance nouvelle et éternelle, conclue par Dieu en Jésus-Christ. Elle se sent autorisée à reprendre les mots de Jean de la Croix :

" Tout est à nous, tout est pour nous, car en Jésus nous avons tout !..." (LT 182). Déjà dans une lettre précédente était développée la même idée (LT 137), mais Thérèse insistait alors sur le fait que la Mère de son Dieu était à elle : jamais elle ne sépare Marie de Jésus ; et elle conclut sur le mystère de "notre grandeur en Jésus". C'est l'assurance de qui se sait aimé. Mais il est vrai que cet amour se révèle "de nuit", et que, disposant des richesses de Dieu, Thérèse ne se les attribue pas, les remet toujours à Celui qui en est la source, et reste pauvre, aimant sa pauvreté.

" Tout ce qu'il m'a donné, Jésus peut le reprendre

Dis-lui de ne jamais se gêner avec moi.. ." (PN 54, mai 1897).

La prière royale de Thérèse demeure enfantine et désarmée cherchant à " prendre Jésus par le cœur" et se soumettant d'avance à tout ce qu'il voudra. Quant à dépendre de la prière de l'Eglise, c'est un sentiment qui persiste en Thérèse jusqu'à sa mort. Il n'est que de relire les confidences qu'elle fait à propos du Confiteor du 12 août 1897 ou ses appels au moment de l'agonie. Mais dans la pauvreté ultime de sa dernière maladie, elle ne cesse de se sentir comblée de la paix de Dieu et des trésors de l' église.

La fidélité au Dieu caché

Bien souvent, pourtant, rien n'a paru à Thérèse elle-même de sa vie intime avec le Seigneur. Sans cela eût-elle pénétré de la même manière le mystère du Dieu caché ? L'enfance de Jésus l'a séduite d'abord et elle aimait fêter l'Annonciation au 25 mars : "C'est le jour où Jésus, dans le sein de Marie, a été le plus petit". Qu'on ne s'y trompe pas : quand elle parle des "vertus enfantines" ou des "Divins caprices" de l'Enfant Jésus, c'est l'anéantissement du Verbe qu'elle contemple et qu'elle tente de rejoindre. Le Dieu venu dans la chair n'est pas directement perceptible ; et ce que Thérèse expose à Céline elle le vit la première, dépassant le sensible pour accéder aux réalités de la foi :

" Jésus est un trésor caché, un bien inestimable que peu d'âmes savent trouver car il est caché et le monde aime ce qui brille. Ah ! si Jésus avait voulu se montrer à toutes las âmes avec ses dons ineffables, sans doute il n'en est pas une seule qui l'aurait dédaigné, mais il ne veut pas que nous l'aimions pour ses dons, c'est Lui-même qui doit être notre récompense. Pour trouver une chose cachée, il faut se cacher soi-même, notre vie doit donc être un mystère, il nous faut ressembler à Jésus, à Jésus dont le visage était caché..." (LT 145, 2 août 1893).

Ce mystère de ressemblance avec la Face cachée du Sauveur est aussi un mystère de fidélité. Thérèse sait, grâce à l' évangile qu'elle ne cesse de scruter, que le festin est d'abord destiné à l'enfant prodigue ; mais le Seigneur ne fête pas ainsi l'être qui "est toujours avec Lui". Notre Seigneur veut laisser " les brebis fidèles dans le désert ". "Comme cela m'en dit long !... Il est sûr d'elles ; elles ne sauraient plus s'égarer car elles sont captives de l'amour, aussi Jésus leur dérobe sa présence sensible pour donner ses consolations aux pécheurs, ou bien s'il les conduit sur le Thabor, c'est pour peu d'instants, la vallée est le plus souvent le lieu de son repos " (LT 142, 6 juillet 1893).

Thérèse ne songe donc pas à s'affliger d'être apparemment délaissée, puisqu'elle est sûre du Seigneur et le trouve au-delà des apparences ; plus encore, elle s'émerveille à la pensée que le Seigneur compte sur elle également. Quel motif de tenir bon ! Thérèse persévère ainsi dans la prière et le don de soi, développant une attitude de confiant abandon envers le Seigneur Jésus : "Laissons-Le prendre et donner tout ce qu'Il voudra, la perfection consiste à faire sa volonté, et l'âme qui se livre entièrement à Lui est appelée par Jésus lui-même 'Sa Mère, Sa Sœur' et toute sa famille " (LT 142).

ÊEtre inconnue, ignorée, méprisée, c'est pour Thérèse un moyen très sûr de rejoindre Jésus méconnu, et souvent méconnu par les siens. Elle veut le reconnaître quand lui-même semble ne plus la connaître. C'est pourquoi Thérèse emploie souvent l'image de Jésus dormant dans la barque, tandis que la tempête fait rage (cf. LT 144). L'épreuve de l'attente peut bien être lourde ; c'est Jésus que Thérèse regarde et conseille de regarder, non la tempête. Le vent de la douleur ne conduit pas moins bien sa barque qu'un autre, et elle patiente jusqu'à l'arrivée au port.

" Il peut bien se cacher, je consens à l'attendre

Jusqu'au jour sans couchant où s'éteindra ma foi..." (PN 54).

Dans le silence de son Seigneur et la monotonie des jours, Thérèse cherche à aimer sans désirer ni consolations, ni faveurs extraordinaires. Attentive à la volonté du Seigneur dans les menus sacrifices quotidiens, elle découvre une profonde intimité avec Lui et se livre davantage à son action : "C'est Jésus qui fait tout et moi je ne fais rien " (LT 142).

Devant une telle simplicité, on a parfois mal posé la question de la prière mystique confondue avec les faveurs extraordinaires. C'est le baptême qui introduit dans la vie mystique, c'est-à-dire dans l'intimité du Dieu Un et Trine. Ce germe se développe différemment dans l'histoire de chaque chrétien ; mais nul n'est privé de cette sève qui anime la prière et toute l'expérience de celui qui est rené dans le Christ. La foi, l'espérance et la charité unissent à Dieu le plus petit dans le Royaume comme le plus grand saint. Et si la "petite" Thérèse n'a pas ignoré certains états décrits par la "grande", elle a sciemment préféré une obscurité où Jésus n'est pas moins présent, mais présent comme le Serviteur souffrant, dont le visage est voilé, ou devant qui l'on se voile la face. Pour Jean de la Croix, le chemin de l'extase est l'obéissance ; pour Thérèse de l'Enfant-Jésus, le chemin de l'union transformante est la fidélité au Dieu caché et l'abandon de l'enfant au sein d'une vie ordinaire.

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