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Un écho de Marie-Thérèse AUNIS, Soeur de La Retraite vivant à Reims

Thérèse de Lisieux : De la prière à Jésus à la prière en Jésus

Tant de savants et de critiques ont examiné la spiritualité de Thérèse de Lisieux qu'au premier abord, il semble que tout ait été dit. Cependant chacun peut commencer ou recommencer la lecture de ses écrits sans grandes études préalables ; et les quelques pages qui suivent ne tendent qu'à y aider en esquissant quelques traits de la prière thérésienne. L'essentiel est toujours d'aller voir directement ce que dit la jeune Carmélite, forte d'une expérience originale et surtout de la grâce de Dieu.
Thérèse d'Avila fait figure de docteur de la vie mystique ; mais Thérèse de Lisieux n'a rédigé aucun traité d'oraison. Quand elle parle, sa vie et sa prière sont continuellement mêlées. C'est cela même qui nous est précieux car, si elle n'a pas donné d'instructions formelles sur la prière, elle témoigne d'une vie de prière particulièrement réussie. Et ce qui transparaît dans ses écrits suffit à nous renseigner ; on l'y surprend presque à chaque page "en flagrant délit" de prière. Cette existence pénétrée de prière se révèle action de grâces, prière de disciple qui se laisse instruire, prière de pauvreté, mais débordante de richesses, entrée dans le mystère du Dieu caché, jusqu'à ce qu'elle réalise l'union en Jésus. Et c'est peut-être ce qui nous touche le plus en Thérèse que de la voir passer, docile à la grâce, de la prière à Jésus, son Bien-Aimé, à la prière en Jésus qui l'accomplit.

Prière continuelle
Thérèse vit en effet dans un état de prière continuelle, et cette permanence de la prière en elle se manifeste de bien des façons. Elle ne parle jamais longtemps sans se référer à Jésus dont le nom se trouve en tête de ses lettres et de ses manuscrits : c'est en son Nom qu'elle veut faire tout ce qu'elle fait. Ainsi, avant d'écrire son histoire par obéissance, prie-t-elle la Vierge Marie ; mais elle ouvre aussi l' évangile. Et nous découvrons que Marie et l' évangile sont ses guides de toujours comme ils sont le centre de ses plus longs poèmes. Thérèse conçoit son autobiographie même comme une prière puisqu'elle souhaite par là "commencer à chanter ce qu' (elle) doit redire éternellement - "Les Miséricordes du Seigneur..." (Ms A 2 r°).

Bien plus, on la surprend qui cesse de parler aux êtres les plus chers pour s'adresser directement à Jésus, comme si le dialogue avec ses proches ne pouvait s'inscrire que dans le dialogue qu'elle entretient toujours avec le Seigneur Jésus. Dans le manuscrit B, adressé à soeur Marie du Sacré Coeur, après une courte introduction, Thérèse choisit Jésus pour interlocuteur : " En écrivant, c'est à Jésus que je parle, cela m'est plus facile pour exprimer mes pensées..." (Ms B, 1 v°). Même en écrivant à Céline qu'elle préfère, Thérèse abandonne le "nous" de sa réflexion pour s'adresser directement à Jésus : " Nous voudrions ne jamais tomber ?... Qu'importe, mon Jésus, si je tombe à chaque instant, je vois par là ma faiblesse et c'est pour moi un grand gains... Vous voyez par là ce que je puis faire et maintenant vous serez plus tenté de me porter en vos bras..." (LT, 89).

Contrainte d'abandonner la plume, Thérèse, qui n'a pas eu le temps d'écrire à Léonie, confie à Jésus le soin d'achever sa correspondance en inspirant les pensées nécessaires à sa sœur : " Qu'elle demande à Jésus ce que je veux lui dire, je le charge de mes commissions !" (LT 85, 12 mars 1889). Et même si Thérèse a le temps, elle laisse volontiers la parole à Jésus comme dans cette lettre à Céline, du 26 avril 1889 : " C'est Jésus qui se charge de dire BON ANNIVERSAIRE pour les 20 ans de sa fiancée !..." (LT 89). Un bouquet est envoyé "de la part du petit Jésus" (LT 90). De la part de Thérèse, est-ce un enfantillage, un jeu que d'attribuer à Jésus son langage et ses gestes, ou de lui remettre ce qu'elle ne saurait dire ?

Non pas. Cette manière de s'exprimer révèle chez Thérèse une profonde conviction que Jésus seul connaît la vérité des êtres et leur apporte ce qui leur convient, qu'il aime plus et mieux qu'elle-même, que son rôle, à elle qui tient la plume, est seulement de faciliter la rencontre entre Jésus et chacun, et puis de s'effacer. Thérèse laisse paraître ainsi son amour passionné pour Jésus vers qui elle se tourne spontanément, l'appelant et l'interpellant pour tout ce qui lui arrive, pour tous ceux avec qui elle est en relation, ne faisant jamais rien sans lui, regardant tout à sa lumière.

Dès qu'elle se sent libre de s'exprimer à sa guise, c'est un cri d'amour qui éclate : "O Jésus mon Bien-Aimé !" On peut relire le billet de profession que Thérèse portait sur elle : il est brûlant de cet amour de Jésus qui fait le fond de sa prière : "Que je ne cherche et ne trouve jamais que vous seul !" C'est là le mouvement de son coeur, centré sur l'Unique Ami découvert dès l'enfance ; c'est l'élan de sa prière. Et quand l'amour de Jésus aura conduit Thérèse à l'amour de la Trinité et à l'élargissement de sa prière dont témoigne l'acte d'offrande, Jésus garde pour elle une place centrale et privilégiée, celle de son "Sauveur" et de son "Epoux", qui seul peut lui ouvrir l'accès à Dieu. Thérèse souhaite être regardée par Dieu "qu'à travers la Face de Jésus et dans son coeur brûlant d'Amour".

Prière de disciple

Thérèse semble donc prier comme elle respire. Mais si sa prière coule de source, on peut se demander où est sa source. La jeune Carmélite prend soin de l'indiquer, quand elle rappelle que tout attrait pour la prière vient de Dieu même "Jésus étant monté sur une montagne, il appela à Lui ceux qu'il lui plut. "Ce verset de saint Marc, cité au début du manuscrit A, Thérèse l'interprète comme le mystère de sa vie tout entière", a fortiori comme le mystère de sa prière qui entre en nombre des "privilèges de Jésus sur (s)on âme" (Ms A, 2 r°). Thérèse rejoint ainsi tous les grands spirituels qui reconnaissent l'initiative de Dieu et son don gratuit. Ni la prière, ni la sainteté ne viennent de l'homme ; elles relèvent de Dieu seul. La part de l'homme est d'être docile à la grâce.

C'est pourquoi la prière de Thérèse est celle du disciple qui a tout à apprendre et qui se laisse conduire. Elle ne va pas chercher d'autres livres que l'Évangile où elle trouve tout le nécessaire, et ne s'inquiète pas d'un autre directeur que Jésus. "Lui, le Docteur des Docteurs, il enseigne sans bruit de paroles... jamais je ne l'ai entendu parler, mais je sens qu'il est en moi, à chaque instant, Il me guide et m'inspire ce que dois dire ou faire." (Ms A 83 v°). Les lumières que reçoit Thérèse ne se limitent pas à l'oraison, mais elles s'étendent aux "occupations de la journée", au dialogue avec les novices. C'est ici qu'on perçoit le caractère réaliste et pratique de la prière thérèsienne : la grâce reçue dans la prière informe toute la vie. A l'oraison elle puise, comme l'ont fait tous les saints, la "science Divine qui ravit les plus grands génies” (Ms C 36 r°) ; mais c’est pour l’appliquer dans la vie courante, et l’image qu’emploie Thérèse traduit bien son dynamisme : “Je n’ai qu’à jeter les yeux dans le Saint Évangile, aussitôt je respire les parfums de la vie de Jésus et je sais de quel côté courir... Ce n’est pas à la première place, mais à la dernière que je m’élance “ (Ms C 36 v°). Là, elle découvre ce qui plaît à Jésus ; et, si elle veut imiter la conduite de Sainte Madeleine, c’est moins pour se tenir aux pieds du Maître que pour se “jeter dans ses bras”, tant elle a confiance en Celui qui l’attire et lui communique ses secrets.

“Sans se montrer, écrit Thérèse, sans faire entendre sa voix, Jésus m’instruit dans le secret.“ Les livres ne lui servent guère, mais la parole qui retentit à son coeur la guide vers “la science d’Amour” qu’elle désire. “Jésus se plaît à me montrer l’unique chemin qui conduit à cette fournaise Divine, ce chemin, c’est l’abandon du petit enfant qui s’endort sans crainte dans les bras de son Père...” (LT 196). Et tout de suite après cette phrase, Thérèse cite des paroles de l’Ecriture en les attribuant à l’Esprit Saint. La voix qui parle à son coeur et celle qui parle dans la Bible se rejoignent et s’accordent, donnant à Thérèse la certitude que le chemin de la petitesse est celui de l’amour, et donc celui de Dieu. Sa docilité à Jésus est une docilité à l’Esprit de Jésus, peu souvent mentionné mais avec une parfaite justesse.

Prière d’action de grâces

La prière de Thérèse, ainsi instruite, répond à l’Amour prévenant de Dieu qu’elle contemple à l’œuvre dans sa vie. C’est pourquoi sa prière est marquée par la reconnaissance, au double sens du terme : Thérèse reconnaît que c’est le Seigneur qui agit en sa faveur, et elle lui chante sa gratitude. Elle se réjouit des “prévenances tout à fait gratuites de Jésus, elle reconnaît que rien n’était capable en elle d’attirer ses regards divins et que sa miséricorde seule a fait tout ce qu’il y a de bien elle... C’est Lui qui l’a fait naître en une terre sainte” (A, 3 v°). Mais les bienfaits reçus ne suffisent pas à rendre compte de la reconnaissance de Thérèse ; elle remercie également des souffrances. En effet, l’épreuve même n’est pas donnée sans la force de la vivre. En apprenant qu’elle ne verra pas son père au jour de sa prise de voile, Thérèse écrit à Céline, sa confidente : “C’est Jésus seul qui a conduit cette affaire, c’est Lui, et j’ai reconnu sa touche d’amour...” (LT 120, 23 septembre 1890). ÊEtre orpheline, c’est s’unir plus intimement à Jésus seul. Plus tard, Thérèse se comparera à une fleur “fortifiée par l’orage”. Nul événement ne la blesse ni ne la déconcerte au point de lui faire oublier l’action de grâces. A propos du “privilège d’être méconnue sur la terre” elle confie à Céline :

“ Ah ! les pensées du Bon Dieu ne sont pas nos pensées, si elles l’étaient notre vie ne serait qu’une hymne de reconnaissance !... ” (LT 107 ; mai 1890). La foi de Thérèse lui permet de dominer sa vive sensibilité et de ne percevoir que l’œuvre de Dieu au-delà de ce qui l’affecte. En toute vérité, elle peut reprendre les mots du psaume 91 : “Vous me comblez de joie, Seigneur, par tout ce que vous faites.”

Et s’il s’agit des autres, elle reste dans la même attitude, demandant au Père Roulland les “principales dates de sa vie” : je pourrais ainsi m’unir particulièrement à vous pour remercier le Bon Dieu des grâces qu’Il vous a faites” (LT 193, juillet 1896). Thérèse fera la même demande à l’abbé Bellière en 1897 (LT 220). Car si elle prie aux intentions de ses correspondants, elle entend bien rendre grâces avec eux au Dieu de toute tendresse et de toute miséricorde. Chacun est aimé, chacun est gracié ; et Thérèse cherche à faire partager cette conviction aux autres pour les entraîner dans son action de grâces, dans une prière qu’elle définit comme “un cri de reconnaissance et d’amour au sein de l’épreuve comme au sein de la joie”. Cette prière, qui “dilate” son âme et l’unit à Jésus”, commence en elle la vie éternelle ; elle anticipe son triomphe par le mouvement de sa foi, dès le temps de sa vie terrestre.

Cependant, la reconnaissance de Thérèse ne porte pas seulement sur tout ce dont sa vie - et celle des autres - est tissée, joies ou peines. Elle s'émerveille des promesses de Dieu qu'elle découvre dans l'Ecriture et particulièrement chez le prophète Isaïe : "Comme une mère caresse son enfant, ainsi je vous consolerai, je vous porterai sur mon sein et je vous caresserai sur mes genoux". Le commentaire de Thérèse n'est pas long, mais laisse entendre l'écho de telles paroles en son âme : "après un pareil langage, il n'y a plus qu'à se taire, à pleurer de reconnaissance et d'amour..." (LT 196).

La prière d'action de grâces se fait silence, comme elle peut jaillir en cri, en larmes ou en chant. Thérèse use de tous les moyens d'expression et elle aime comparer la vie de prière à une musique ou à un chant du cœur qui ravit le bien-aimé (cf. LT 87).

Mais ce qui la touche le plus, c'est le souvenir de ce que le Seigneur Jésus a choisi et vécu au cours de son existence terrestre ; et elle se plaît à l'évoquer tout au long des trente-trois strophes du poème : "Jésus, mon Bien-Aimé, rappelle-toi" (PN 24, 21 octobre 1895). Au condamné dont la gloire est cachée, elle aime à dire :

"O Prince de la paix,

Moi je te reconnais,

Je crois en toi !... (...)

Oui, je te reconnais, toute voilée de larmes,

Face de l'Éternel, je découvre tes charmes."

Devant l'excès d'amour découvert en Jésus mourant pour elle, Thérèse noue le dialogue d'une réciprocité d'amour ; car la reconnaissance, chez elle, se transforme en engagement à la suite du Bien-Aimant devenu le Bien-Aimé.

"Rappelle-toi, Jésus, Verbe de vie,

Que tu m'aimas jusqu'à mourir pour moi.

Je veux aussi t'aimer à la folie,

Je veux aussi vivre et mourir pour Toi."

Ses forces ne suffisent pas à un pareil projet ? Jésus donnera encore l'amour dont il est la seule mesure :

"Donne-moi pour t'aimer ton Divin Cœur lui-même." (PN 24.)

Reconnaître l'action de Dieu dans un regard de foi, lui rendre grâces, l'aimer en retour car "Il nous a aimés le premier", c'est le mouvement de la prière de Thérèse comme c'est le mouvement de sa vie. Elle se plaît à citer cette parole de l'Ecriture :

"Immolez à Dieu des sacrifices de louange et d'action de grâces", soulignant la primauté de l'amour sur les œuvres et les sacrifices dont Dieu n'a nul besoin (cf. LT 196).

Thérèse a beaucoup reçu personnellement ; elle a surtout beaucoup reçu en Jésus. C'est avec gratitude qu'elle accueille les actes de Jésus et l'amour infini qu'ils expriment, comme elle recueille les événements de sa propre vie avec réalisme et reconnaissance. Mais la prière prépare aussi Thérèse à ce qu'elle va vivre ; c'est un creuset où elle se purifie et mûrit. Car, dans la prière, avant d'être comblée, elle expérimente le creux du désir, la pauvreté fondamentale de son être de créature, comme la gratuité du don de Dieu.

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